mercredi 27 mai 2009

Guerilla, Bullshit et Conversation marketing

Le Web est depuis toujours une véritable pépinière pour les innovations marketing les plus massives, les plus intrusives et les plus charlatanesques.

Le chroniqueur canadien Patrick Lagacé mentionnait il y a peu l’anecdote d’un blog monté de toutes pièces par une agence de communication, qui l’a d’abord fait passer auprès des visiteurs pour une initiative spontanée alors qu’il s'agissait d'une plate-forme de promotion pour le lancement d’une activité de vélos en libre-service. Patrick pose tout haut la question de l’emploi du mensonge et de « la bullshit » dans des pratiques marketing que l’éthique n’arrive à condamner qu’avec un temps de retard. Il parle même de tactiques « undercover » de marketing « de guérilla », que l’atomisation des marchés et la socialisation du web permettent et relaient inconsciemment, négligeant la plus basique exigence de véracité du propos au profit de l’effet de mode. On ne peut certes pas s’étonner, dans une société de loisir et d’information, que les entreprises se jouent des modes et des codes pour capter le « temps de cerveau disponible » des internautes. Le marketing « ambiant », logique évolution de stratégies commerciales toujours plus intelligentes et compréhensives, n'est pas ici en cause : le véritable point d’achoppement est le marketing de la conversation.


Illustration de bullshit (trouvé sur le blog sus-cité) :

FailCom dit : « J’aurais aimé être informé dès le début que vous faisiez la promotion d’un produit. Faire de faux blogs pour la promotion d’un produit, c’est un peu comme de la pub mensongère, non ? »

L’équipe BIXI dit : « On ne fait pas la promotion d’un produit. On invite les gens à s’intéresser au vélo libre-service! […] Pour une fois qu’on fait ici quelque chose qui est reconnu internationalement. Cessons d’être négatif …et roulons tous à BIXI. on a le pouvoir de changer la ville. Faisons-le ensemble. […]
Le blogue n’a jamais été un faux blogue. Tout ce qui y est écrit est d’intérêt pour la communauté du vélo à Montréal. Il n’y a rien de mensonger dans l’information qu’on y trouve. Nous avons toujours voulu être respectueux de nos lecteurs. C’était, bien humblement, la seule façon qu’on avait de vous intéresser à notre projet et il semble qu’on ait réussi. Des milliers d’adeptes du vélo comme vous nous ont suivi sur notre blogue. Nous en sommes heureux. Il fallait qu’on attire votre attention et ce n’était pas évident dans cette jungle du web.
Si on veut que BIXI change la ville, il faut que nous soyons des milliers à rouler tous les jours à BIXI. Nous espérons que vous serez vous aussi un adepte de ce nouveau mode de transport qui est pour nous…un nouveau mode de ville.
[…] Revenez nous voir. Encore mieux, abonnez-vous sur BIXI.com »


S’il est clair que la sphère privée de l’internaute, virtuellement reliée au marché de la consommation, est forcément perméable aux signaux émanant du monde de l’entreprise, il n’est aucune raison pour que l’internaute soit le récipiendaire mal informé de « la bullshit » des entreprises. Certains diront d’ailleurs que cet état de fait n’est pas durable et que toute activité corporate gagnera au final (notamment en termes de notoriété et d’utilisation des communautés) à être transparente. Cependant cela ne changera rien à la panoplie d’hommes-sandwiches qu’enfilent, volontairement ou non, les internautes pris sous le feu de la publicité version 2.0.

Nos données personnelles, captées par des moyens souvent à la limite de l’éthique, sont la pierre angulaire d’un mainstream (un flux central) mercantile, porté par l’innovation et épaulé par les grands groupes, dans lequel le consommateur est plus que jamais un agent abstrait que l’on abreuve de contenu. Ce sont également nos données personnelles qui sont la source de l’essor du Web social, là où le nouveau mainstream prend corps. La frénésie de l’étiquetage classifie progressivement notre environnement selon des termes (tags) creux : l’internaute construit son identité comme on remplit un caddie, il devient un nuage de données marketing exploitable. Rien de plus anodin après tout, c’est même l’utopie fondatrice de l’économie de marché que de tendre à une information totale sur le jeu de l’offre et de la demande.

Ces nouveaux modes de « consommation induite par l’identité » créent toutefois pour l’individu un cadre de vie (au moins virtuelle) de plus en plus déterministe : dans ce décor où le consumérisme peut se fondre sans violence et où l’approximation et la bullshit permises par le Web conversationnel rendent interminable toute recherche de vérité, il est possible que le vernis de loisir du web cède un jour pour nous révéler un vaste cimetière intellectuel. Car entre le guerilla marketing, la démocratie numérique et la bullshit en barres, le mainstream n’aura jamais su faire qu’une chose : se vulgariser.

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